LE SCOUTISME QUEBECOIS

 

RESUME

L’éducation n’est pas la responsabilité des seuls systèmes scolaires. L’éducation non institutionnelle peut, elle aussi, contribuer à la constitution de l’autonomie chez les adolescents. Le scoutisme s’y emploie. Encore faut-il qu’il utilise pleinement les ressources de sa méthode. Pour analyser les conditions de la désaffection des adolescents pour un mouvement conçu pour eux, nous avons ébauché un modèle d’évaluation de la qualité du scoutisme vécu par les jeunes. L’analyse statistique effectuée à partir des réponses aux questionnaires administrés à une centaine de personnes nous a permis de reconstituer deux idéaux-types. L’un, dans lequel la culture scoute prend forme et auquel les adolescents adhèrent. L’autre, qui n’a de scoutisme que le nom et que les adolescents quittent massivement. L’élément clé de cette culture scoute est la confiance faite aux jeunes. La proposition scoute est une proposition éducative moderne répondant parfaitement au besoin d’autonomisation des jeunes dans l’optique d’une construction humaniste de la société.

 

CONCLUSION ET PISTES

La société québécoise est en panne d’interprétation, disait en 1995 Fernand Dumont, dénonçant ainsi l’absence de critique et de projets. Pour l’éminent sociologue, cette situation découle, d’une part, de la présence toute récente d’un appareil d’état, et, d’autre part, de l’incapacité des organisations qui régissent la vie collective à s’adapter à un monde nouveau et à insuffler la dynamique nécessaire.

Nous nous sommes penchés sur l’une de ces organisations, la Fédération des scouts du Québec, cherchant à comprendre pourquoi les adolescents quittent ses rangs alors que le scoutisme a été conçu pour eux.

À travers une définition du scoutisme et l’analyse de la charte de l’Organisation mondiale du mouvement scout, nous avons démontré que le scoutisme est une méthode d’éducation active. Le scoutisme s’inscrit dans la définition de l’éducation telle que formulée dans le rapport que Jacques Delors a préparé pour l’UNESCO en 1995. Ce rapport intitulé L’éducation : un trésor est caché dedans, fonde l’éducation sur quatre piliers : Apprendre à savoir, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble, apprendre à être. Nous avons complété la présentation de la proposition scoute par un rapide survol de la vie de Baden-Powell et de l’implantation du scoutisme au Québec. L’image du scoutisme a retenu notre attention, car elle est souvent à l’opposé de la réalité vécue par les jeunes et nuit à son développement.

L’examen des données statistiques rendant compte de la répartition des effectifs sur le territoire québécois nous a ensuite permis de constater l’extrème hétérogénéité de cette organisation. De même, l’étude des instances décisionnelles laisse apparaître une grande complexité et une distance importante entre les leaders et la base active auprès des jeunes.

À l’étude détaillée de la variation des effectifs adolescents, lesquels ont chuté de moitié durant la période 1983-1998, nous avons observé trois phénomènes qui nous ont incité à faire porter notre recherche sur ce qui se vit dans les unités. Il s’agit de la diminution des effectifs en deuxième année de participation, du nombre accru des désaffections dans les unités où les adolescents sont nombreux et de la moindre stabilité en terme d’effectifs au sein des unités mixtes.

C’est dans une perspective interactionniste que nous avons choisi de faire ressortir les bonnes raisons des acteurs que sont les adolescents. Plusieurs de ces bonnes raisons nous laissaient croire que le motif principal de la désaffection provenait de la qualité de l’encadrement, de la manière dont le scoutisme est offert aux jeunes et vécu dans les unités. André Gorz nous a guidé dans l’étude du concept d’éducation non institutionnelle et Kaufman dans celle du concept de besoin. Ainsi outillés, nous en sommes venus à l’hypothèse suivant laquelle si les adolescents désertent le mouvement scout québécois initialement conçu pour eux, il se pourrait que ce soit parce que ce n’est plus du scoutisme qui leur est offert sous cette appellation.

Cependant, suivant les principes de l’individualisme méthodologique, nous ne pouvions pas seulement dire que la désaffection des jeunes pour le scoutisme était la conséquence d’une animation déficiente. Il nous fallait remonter aux autres acteurs que sont les adultes et à leurs motivations. Le cadre de cette recherche nous a malheureusement contraint à limiter nos investigations dans cette direction.

Nous avons obtenu un ensemble de données quantitatives et qualitatives sur notre objet d’étude au cours d’entrevues individuelles. Un questionnaire a en effet été administré à des adolescents sélectionnés de manière aléatoire dans des groupes retenus pour l’importance du taux de croissance de leurs effectifs adolescents.

Nous avons ainsi pu constituer deux idéaux-types et observer des différences flagrantes en regard principalement de trois éléments clés de la culture scoute. Ces trois éléments sont le fonctionnement en équipe, le degré de risque que les adultes sont prêts à faire vivre aux jeunes qui leur sont confiés et la place qu’ils leur réservent dans le processus décisionnel. C‘est tout le problème de la confiance faite aux jeunes qui est ainsi évoqué. Or la culture scoute émane justement de cette relation harmonieuse dans laquelle le jeune sent que l’adulte lui fait confiance et l’amène ainsi à prendre en charge son propre développement.

À la lumière de cette analyse, nous concluons que là où les attitudes et les comportements des adultes ne permettent pas l’instauration et le maintien d’une véritable culture scoute, les adolescents vont chercher ailleurs ce qui correspond à leurs aspirations. Par contre, là où cette culture se développe, non seulement les jeunes restent mais ils favorisent le recrutement d’autres adolescents.

La désaffection des adolescents pour le scoutisme québécois francophone au sein de la FQGS est un effet émergent, pervers, consécutif à l’agrégation de décisions individuelles, au delà de toute intention individuelle ou collective.

Malheureusement, le cadre exploratoire de cette recherche ne nous a pas permis d’approcher suffisamment de jeunes pour vérifier si cette hypothèse se vérifie également dans les groupes dits stables. Il serait essentiel de suivre la désaffection suivant un système d’indices mesurant la qualité du scoutisme vécu dans un échantillon représentatif de l’ensemble des adolescents membres de la FQGS. Nous aurions souhaité également vérifier si la corrélation constatée entre culture scoute et taux de croissance des effectifs adolescents est positive. De même une recherche portant sur les contextes familial et scolaire, sur les conséquences de la mixité ainsi que sur le profil des adultes, leur recrutement et leur formation serait utile avant de suggérer quelque recommandation à la FQGS.

En effet, nous n’avons pu qu’évoquer le cheminement qui peut avoir conduit à cette situation. L’arrivée massive d’animateurs sans vécu scout dans les années 80, les lacunes de la formation et les possibilités illimitées d’interprétation des méthodologies scoutes seraient, entre autres raisons, les conséquences des effets pervers de la Révolution tranquille sur le scoutisme adolescent au Québec. Contradictoirement, ces circonstances n’ont pu être corrigées en raison de l’orthodoxie de l’Association des scouts du Canada. Orthodoxie dont Castoriadis disait qu’elle conduit (…) à une stérilisation à peu près complète de la pensée. Moins radicalement, disons que le dynamisme des adultes impliqués à la base, notamment des plus jeunes d’entre eux, a de la difficulté à être relayé au sommet de la pyramide et, qu’en conséquence, l’adaptation graduelle du vécu scout ne peut se faire. C’est oublier que le scoutisme doit être fait pour les jeunes et par des jeunes.

Au delà de la désaffection des adolescents pour le scoutisme québécois, cette recherche nous a suggéré une rapide évocation de la relation tumultueuse mais féconde qui existe entre socialisation et autonomisation. Relation que ne peut ignorer tout éducateur soucieux de contribuer à l’édification d’un nouvel humanisme.

La société québécoise a vécu sur les acquis de la Révolution tranquille, oubliant ou n’ayant pas encore découvert qu’une société se construit en permanence. Devant ce constat, nous proposons que le scoutisme peut concourir au sursaut auquel Fernand Dumont appelait les Québécois. Le scoutisme peut en effet contribuer à former des citoyens qui auront pour le Québec l’attachement qui se crée par la connaissance. Dotés d’un sens critique et d’une solide autonomie, ils seront d’autant plus soucieux de respecter les valeurs de leur communauté qu’ils contribueront à la définir.

 

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