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JEUNESSE et GENESE du NAZISME -
par Georgette MOUTON
La Première Guerre Mondiale,
en sa violence, fut " l'accoucheuse des révolutions "
communiste et fascistes. Mais en Allemagne la conception de l'enfant
datait d'une bonne centaine d'années. Hitler na rien inventé.
La haine des Lumières, de la Raison et de la Science, lexaltation
de lhéroïsme, du sacrifice, du passéisme, du patriotisme,
de lunité du Volk, ce peuple que lon rencontre dans
le vagabondage rêveur : tout cela est contenu dans la poésie romantique
dès la fin du XVIIIe Siècle, et même lantisémitisme....
Comment cette " superstructure " vieille dun
siècle, le Romantisme, a-t-elle pu être plaquée sur une " infrastructure
" de technologie avancée mais détestée ? Linspiration
dun dictateur a-t-elle suffi ou a-t-il été poussé par la Jeunesse
passéiste ? Comment une nation qui était, sous Guillaume II, à la
pointe du développement scientifique a-t-elle pu accepter de telles
folies surannées ?
" Si on élève mal ses
enfants, on obtient des enfants mal élevés. " Nous sommes loin
de proférer une Lapalissade : Notre laxisme actuel, inexcusable,
relève de linertie mentale ; de la paresse. Mais entre 1914
et 1933 le manque dinstruction et de morale des jeunes Allemands
sexplique par les conditions familiales, sociales et matérielles
: ce sont les conséquences de la guerre. Si on additionne tués et
disparus, on constate un chiffre total de 2,4 millions de pères
morts, en outre, parmi les 4 millions de blessés, beaucoup dinfirmes
aigris et dévalués, mauvais modèles pour les fils. Quant aux frères
aînés, ils se battent en Freikorps, car les pertes territoriales
produisent des drames pour les Allemands de souche, notamment dans
les pays baltes . Les femmes, les mères, travaillent pour nourrir
les enfants. Ceux-ci font la queue au ravitaillement, durement rationné,
et apprennent les trafics contre la faim. Sy ajoute la guerre
civile permanente, chaque parti ayant ses milices armées, qui tiennent
les rues de certains quartiers, se battent entre eux ou contre la
police. Celle dun gouvernement socialiste tue Rosa Luxembourg
et Karl Liebknecht aussi bien quHorst Wessel et quelques autres
nazis.
Au milieu de ces désordres
et de ces frustrations comment, pour les millions de petits Poulbots,
penser à sinstruire ? Dautant moins que depuis 1900
un mouvement de Jeunesse appelé le Wandervogel, ( ce qui signifie
loiseau migrateur ) prêche la haine du maître-croquemitaine,
ennemi des enfants, en suivant les doctrines de Lagarde, Langbehn,
Nietzsche, Moeller van den Bruck, ou encore Heinrich Mann ( lAnge
Bleu ) Stefan George, plus une quarantaine décrivains : philosophes
existentialistes, poètes, romanciers, dont le plus influent est
Hermann Hesse, éditeur et auteur de best-sellers .*
Or il y a une énorme disproportion
numérique entre la génération des pères - formée de " classes
creuses ", encore diminuée par le nombre de tués - et celle
des Jeunes de 15 à 30 ans qui forment une énorme bosse dans la pyramide
des âges.** En majorité, les Allemands de 1930 nont
plus rien de commun avec le peuple de Guillaume II. Une fracture
( Riss ) étonnante sépare jeunes et vieux. Les premiers sont pour
le nazisme et vont lui apporter les deux-tiers des voix. Le NSDAP
passe de 12 à 107 députés. Tandis quaprès cinquante ans on
ne trouve presque pas de nazis. Cela sexplique : Gründel dit
que les vieux ont la nostalgie de lépoque impériale. Knoll
montre que laccélération brutale des sciences forme un hiatus
entre les connaissances acquises par les parents et les nouveaux
manuels scolaires. Toutes les découvertes fondamentales surgissent
autour de 1900 : Pasteur, les Curie, Einstein, ou encore Freud,
Adler, Jung... Tout est bouleversé. On parle de "désenchantement
du monde ".***
*
Christiane Voelpel. " Hermann Hesse, und die deutsche Jugendbewegung
." Cologne 1987. Citée dans notre DEA 1993 : " Le Wandervogel
"
** Une pyramide des âges, identique, peut être constatée
chez Günther Grûndel " Die Sendung der jungen Generation. "
Munich 1932-1933, et chez Marcel Dutheil " La population Allemande
" Payot Paris 1937 avec des commentaires similaires : Là réside
le dynamisme de l'Allemagne.
*** Il nous est difficile de comprendre ce choc
psychique et moral, car depuis lors l'humanité n'a fait aucune découverte
fondamentale.
Il
se double de la " lutte pour la vie " autre notion nouvelle
dérangeante, de Darwin. La misère ambiante lui confère une réalité
tragique, révolution intérieure et agressivité extérieure y prendront
leur source.. Matzke publie un livre vantant le cynisme des Jeunes
: " le nouveau réalisme. " Ni morale, ni sentiments, ils
sont la vague qui monte et va déferler, pour périr demain. ( ce
garçon de 27 ans est un des rares capables de comprendre quil
ne restera ni jeune ni vainqueur longtemps. ) On croit à lenthousiasme,
au fanatisme, au génie, à la volonté, au Destin des Peuples Jeunes.
Moeller van den Bruck explique bien quil ne sagit pas
de lâge des citoyens mais de lâge de la Nation. LAllemagne,
lItalie, venues à lunité plus tardivement que la France
et lAngleterre sont plus " jeunes " donc destinées
à grandir, et à vaincre les peuples mourant de vieillesse. Les faits
se chargeront de démentir ces extravagances.
La doctrine nazie repose
sur un darwinisme mal compris. Tout ce qui est récent, nouveau,
neuf ( " neu " ) serait nécessairement meilleur. La génération
suivante aurait plus de valeur que la génération précédente. Cest
oublier que lévolution demande des millénaires et que certaines
espèces peuvent dégénérer et disparaître. Quant au slogan "
Place aux Jeunes ", il cache mal légoïsme dune
seule génération. Si les gens de 23 à 35 ans occupent les "
bonnes places ", ce ne sont pas les retraités qui sont frustrés,
mais les plus jeunes, ceux de 10 à 20 ans qui voient lhorizon
bouché pendant la carrière de leurs chefs, jusquà ce que ceux-ci
atteignent 60 ou 70 ans... Car il nest pas question de quitter
le pouvoir à 40 ou 45 ans ( ce qui serait normal selon leur propre
idéologie).
Mais quels sont les points
attrayants du nazisme ? Ceux qui expliquent sa fascination et sa
victoire sans conteste, dans lesprit des jeunes Allemands,
sur le communisme ? Les appâts font partie dune Mystique de
la Nature.* Au commencement se trouve la randonnée, comme
expérience vécue ( Erlebnis ) de l'instinct nomade, caractéristique
fondamentale du peuple allemand.**
*
Pois Robert " la religion de la nature " Cerf 1993
** Paul de Lagarde cité par Fritz Stern ou Hermann Hesse
cité par Christiane Voelpel
Ensuite dans le mouvement, ,
gymnastique, sport, danse, ou dans lémotion érotique et artistique
lon prend conscience de lunité de notre corps avec la
Nature : depuis les battements de notre coeur jusquaux rythmes
des saisons, de la Vie et de la Mort. Le " Rhythmus "
exprime la marche du Destin. Notre corps et notre âme ne font quun,
la Nature et Dieu ne font quun. Cet " UN " est le
" TOUT " dans lequel nous pouvons nous fondre en extase
mystique. La poésie en est la Révélation.*
Lamour de la Nature
se lie à lamour du peuple et ensuite au patriotisme. La colonie
de vacances campe à la ferme et fraternise avec les cultivateurs.
Leurs liens étroits avec la Terre-Mère rendent les ruraux plus purs,
plus vrais, plus "authentiques" que les citadins. Du Régionalisme
on passe au Patriotisme. Pour les Allemands, il ny a pas opposition
mais concordance entre lamour de la petite patrie ( Heimat)
et de la Nation ( Reich ).** La connaissance du peuple
rural entraîne, chez les jeunes Allemands du Wandervogel, les idées
dEgalité et de Fraternité, revendiquées au même titre que
leur Liberté. ( leur indépendance par rapport aux adultes ). Cest
fort révolutionnaire et cela fonde lunité de la Communauté
nationale (Gemeinschaft). Ce sens mystique dune " participation
" au même peuple, permettra aux Allemands de " tenir "
en Solidarité pendant les terribles épreuves de 1944-1945.
*
Hoelderlin. Un extrait assez long se trouve page 18 des notes du
chapître I
** Par hostilité envers
le jacobinisme, chez Charles Maurras, en France, au contraire, le
régionalisme cherche à détruire lunité du pays.
Cependant
un groupe humain se voit exclu de cette communauté. Pourquoi ? Parce
qu'il est " hors nature ". Telle est en effet la célèbre,
linvraisemblable définition du juif donnée par Hitler à Rauschning:
" Ce nest pas que jappelle le juif un animal. Il
est beaucoup plus éloigné de lanimal que nous, Aryens. Cest
un être étranger à lordre naturel, un être hors-nature. "
Par son intelligence diabolique, le juif s'empare de toutes les
places, dirige et corrompt tout. Or, il y a une hérédité de lâme
*** plus influente que laspect extérieur du corps.
Un juif blond est par le " sang " ( chose mystique sans
rapport avec la chimie ) un sémite; tandis quun " SS
Mohamed " **** sévissant en Dordogne en 1944 est
le frère (Himmler dixit ) dun aryen, tout comme les Japonais.
En outre cette âme juive est imbibée dune haine innée contre
lesprit germanique. Il est donc plus important de gazer des
enfants juifs que dacheminer des troupes et du matériel ;
on réquisitionne les trains pour les camps parce que la sorcellerie
aurait plus de puissance que les armes.
*** Julius Evola "
Eléments pour une éducation raciale " Pardès 1984
**** Roger Faligot
et Rémi Kauffer " le croissant et la croix gammée " Les
secrets de l'alliance entre l'Islam et le nazisme d'Hitler à nos
jours. AlbinMichel 1990. Pages 128 à 131: " la Djihad contre
les maquis de Dordogne et de Corrèze "... " les hommes
d'El-Maadi gagnent un surnom : SS Mohamed " " Plus de
300 Arabes... vont composer la brigade Nord-africaine... ils seront
entrainés à Neuilly ...cette brigade apparait officiellement le
26 Janvier 1944 " sous les ordres de Henri Lafont et de son
neveu Paul Clavié
Face
aux maléfices juifs, la quête du Graal, la recherche du Surhomme
ne peuvent se faire que par la guerre. Les exterminations réaliseront
la sélection darwinienne des meilleurs. Ainsi on parviendra à lapproche
du Surhomme. Le Surhomme, en création continue, est comme une asymptote
: On le côtoie de près sans pouvoir latteindre.... sauf dans
une certaine situation : le héros qui meurt au combat devient Surhomme
à linstant fatal .* Pour s'opposer à des religions
étrangères fondées sur la Paix, la Pitié, la Charité, cest
la Mort, la Guerre, la Destruction que prêche la révolte nazie :
" Ce monde est pourri.
Nous devons le saccager ".
Pourtant ce nest pas
dhorreurs que rêvent tous ces Jeunes, mais de Beauté. La tuerie
nest que le chemin, douloureux pour eux aussi.**
On imagine un monde sans vieux, sans malades, sans infirmes, sans
laideurs : un monde éblouissant de Jeunesse et de Joie.***
A quoi ces fantasmes aboutissent-ils dans la réalité ? Le sentiment
sans conscience nest que perversion de lâme. La conscience
n'existe pas sans réflexion, doute, critique, jugement. Le fanatisme
exalté relève de la paranoïa.
" Qui veut faire lAnge
fait la Bête "
* Julius Evola " La doctrine
aryenne du combat et de la victoire " Pardès 1987 conférence
prononcée par l'auteur en Allemand le 7 décembre 1940 au palais
Zuccari à Rome devant un parterre de dignitaires nazis et de SS.
** Heinrich Himmler
" Discours secrets " Gallimard 1978 ou Blobel cité par
François Bayle "Psychologie et Ethique du Nazisme " PUF
1953 ou Christopher R. Browing " Des hommes ordinaires "
Les Belles Lettres 1994
*** Robert Brasillach
" Les sept couleurs " Plon 1939 ou Maurice Sachs "
Le sabbat " Gallimard 1960
JEUNESSE ET GENESE
DU NAZISME
En exergue nous citerons
Bettelheim : " Tous les parents ont peur "
Depuis plus de vingt ans,
dès 1970 et 1973, alors sous la direction du Professeur Jean Servier,
à Montpellier, sous ce même titre " Jeunesse et Genèse du Nazisme
" nous tentons de dégager le visage primitif et essentiel du
nazisme à sa naissance, c'est-à-dire sa genèse et sa génétique.
Nous présenterons quatre éclairages principaux . D'abord dans la
perspective de l'âge. Ce premier coup de projecteur vient de nos
amis et correspondants allemands, autour de 1970. Un vieux syndicaliste
berlinois m'a écrit " A l'origine se trouvaient des bandes
d'adolescents qui vagabondaient en prêchant l'évangile juvéniste
. " Cela remontait bien avant Hitler, dans la ligne des Freikorps
et du Wandervogel. Des parents de jeunes devenus nazis nous ont
dit :
- " Nous avons suivi
nos enfants " et aussi :
- " la jeunesse était
dans un tel état de dépravation que nous avons été reconnaissants
à Hitler de lui rendre une certaine discipline et un Sens de la
vie ." ( Weltanschauung )
Nous résumerons en une formule
:
" le nazisme est un
phénomène de délinquance juvénile généralisée, et récupérée . "
Nous rappelons qu'il y avait
à l'origine de la prise de pouvoir de Hitler 3 millions de SA, baptisés
" la voyoucratie ".
Nous mettrons en rapport
avec cette vue psychologique, des témoignages matériels, officiels,
précis et chiffrés, palpables. Dans son livre " La Révolution
sociale de Hitler " pages 54-62 et 64 David Schönbaum donne
les statistiques d'adhérents au parti nazi par tranches d'âge en
1930 et en 1932. Le 1e chiffre cité est celui de 30,
le second celui de 32, en pourcentages.
De 21 à 30 ans 36,4 % puis
40,4 %
De 31 à 40 ans 31,4 % puis
27,8 %
De 41 à 50 ans 17,6 % puis
17,1 %
De 51 à 60 ans 9,7 % puis
9,3 %
Après 60 ans 4,5 % puis 3,6
%
Ensuite en date de 1932 voici
selon les statistiques électorales, la comparaison des votes soit
en faveur du SPD soit en faveur du NSDAP, en pourcentages, comparés
aux pourcentages des tranches d'âge dans la population.
AGE dans la population SPD
NSDAP
18-30 31,1 19,3 61,3
31-40 22 27,4 22,4
41-50 17,1 26,5 8
51 et plus 29,8 26,8 8,3
Autrement dit les nazis se
situent entre 18 et 40 ans , âges où ils représentent 83,7% des
votants pour le NSDAP. Après quarante ans il y a 26 votants pour
le SPD et 8 pour le NSDAP.
Raymond Aron dans ses Mémoires
raconte qu'en 1932 certains de ses amis allemands disaient que la
Jeunesse était à 100% nazie et que d'autres corrigeaient: -"
seulement aux trois quarts ." La vérité objective fait la moyenne
entre ces deux assertions .
Notre second éclairage consiste
en une recherche de structure. Quels sont les aspects principaux
du nazisme, correspondant à ses thèmes et à son vocabulaire ? et
sont-ils proches des aspirations de la Jeunesse allemande de 1900
à 1930 ? aspirations exprimées dans les journaux de Jeunes, notamment
ceux du Wandervogel ? ou tendances visibles dans les éléments de
culture , littérature et arts?
En 1973 à Montpellier, dans
un premier opuscule intitulé la Masse il nous avait semblé pouvoir
dégager trois éléments qui s'articulent entre eux : le Nazisme est
caractérisé par :
la Masse - l'Irrationnel
- la Violence.
Si nous voulons montrer la
différence avec la Démocratie, nous caractériserons celle-ci par
trois aspects ou principes absolument opposés :
l'Individu - la Science -
le Droit
Si nous voulons montrer la
divergence avec le marxisme, elle ne réside qu'en un seul point
: le rationalisme affiché par les communistes. Pour illustrer la
défaite du Parti communiste allemand devant les nazis, Georg Lukacs
donne comme titre à son livre :
" La Destruction de
la Raison "
Prenons le premier point
: la Masse
Dans l'idéologie nazie, elle
correspond au culte du " Volk ", c'est-à-dire d'un peuple
en communauté organique, biologique sans organisation de votes et
de constitution.
Subjectivement, de tout temps
, les adolescents aiment se constituer en bandes. Objectivement
dans l'Histoire , cette acception du mot " Volk ", aux
environs de 1900 est corrélative d'une croissance de population
et d'un entassement en ville où prédominent les Jeunes. La Masse
représente particulièrement les couches défavorisées urbaines. Grâce
aux lois sociales de Bismarck, Berlin s'est multiplié par neuf tandis
que Paris et Londres se multiplièrent par trois. Or ce sont les
jeunes qui ont émigré de la campagne vers la ville d'une part et
d'autre part s'il y a quatre enfants en moyenne dans les quartiers
pauvres, les enfants sont plus nombreux que les parents, et ne travaillant
pas s'agitent dans les rues et s'y regroupent. Les ouvriers aussi
sont jeunes : on travaille dès 14 ans, on fuit le village dès 14
ans. Donc Poulbots abandonnés à la rue, et jeunes émigrants sans
famille et sans racines, sans repères, et parfois , sans soutien
autres que leurs bandes, se retrouvent dans la rue. N'oublions pas
une situation économique et sociale dramatique, chômage et guerre
civile mêlés.
Le second aspect du nazisme
est le choix volontaire de l'Irrationnel. A notre avis c'est là
le centre, le coeur, le noyau de la doctrine. Le refus de l'école,
le mépris de la Science s'expriment dès le Wandervogel aux environs
de 1900. Du point de vue politique, c'est la revendication de l'instinct
racial inné, comme valeur opposée à l'acquis éducatif socialiste
ou libéral. La lutte des races a été, en Allemagne, préférée à la
lutte des classes. Neumann le souligne dans Behemoth en 1942. Pourquoi
les Jeunes ont-ils en masse adhéré à la foi irrationaliste hitlérienne
et non au rationalisme marxiste ? la Jeunesse a besoin, selon les
psychologues, d'une explication sentimentale, d'un enthousiasme,
d'un idéal spiritualiste non matériel. Or tous les historiens reconnaissent
que le nazisme est un anti-matérialisme . On pourrait citer Hitler
dans les Libres Propos ou dans ses Conversations avec ses généraux.
Ce spiritualisme, en Allemagne,
ne se contente pas, comme en Italie, du christianisme. Hitler -
et bien avant lui les Romantiques - veulent une religion proprement
allemande et remontant aux traditions ancestrales les plus lointaines.
Siegfried plutôt que Luther et l'opéra wagnérien plutôt que la messe.
Les Jeunes considèrent les
barbares comme leur " Sang ". ( nous n'insistons pas sur
la signification mystique non matérielle de ce mot ). Ce sang est
leur vérité intime, sentie par intuition naturelle, sans Révélation
ni livre, sans autorité des Pères et des Prêtres. A la fois attrait
du pittoresque au lieu des rites ennuyeux des Eglises, attrait de
la spontanéité au lieu de la contrainte. Et puis c'est plus facile
et nous avons insisté sur la revendication de la paresse scolaire
dans le DEA. Enfin, sans doute encore davantage la Jeunesse préfère
une religion naturiste qui exalte l'instinct au lieu du puritanisme
bourgeois. Le nazisme proclame la valeur de la liberté sexuelle
et en pratique , organise le Lebensborn ( maisons maternelles pour
filles-mères devenues les mères de la nation allemande ).
Or c'étaient depuis 1900
les revendications de la Jeunesse. Le Lebensborn a été pour beaucoup
dans la conversion au nazisme des jeunes filles, malgré les trois
K célèbres ( Kinder Küche Kirche)
Le troisième élément du nazisme
: la Violence est son aspect le plus visible. De toute évidence
ce ne sont pas des vieillards, mais de jeunes SA - très jeunes même
- qui exercent la violence : l'oppression à l'intérieur et la guerre
à l'extérieur pour leur espace vital. Nous abordons alors la question
essentielle, celle que prononce Jean-Baptiste Duroselle dans sa
Préface au livre du Professeur Georges Soutou, " l'Or et le
Sang " :
- " Faut-il s'enrichir
par le travail personnel ou par la conquête des richesses d'autrui
? "
La mystique de la Guerre
et de la Mort, du Sacrifice à la Patrie, cet idéal irrationnel,
spiritualiste, sous-tend dans la pratique le désir de meurtre.
Nous pouvons tracer une première
esquisse de l'idéologie nazie telle que les jeunes hitlériens en
chemise brune se plaisent à l'inculquer à leurs parents et à leurs
professeurs.
1) Cette idéologie oppose
aux religions transcendantes de contrainte une religion immanente
naturiste. Elle prend parti pour l'instinct, pour la Terre contre
le Ciel. Mais cette Terre n'est pas matérielle, elle est Dieu, Nature
et Dieu se confondent. Le spontanéisme juvénile en est ravi.
2) En Sciences c'est l'inverse.
Le Ciel contre la Terre ou plutôt l'âme ( qui ne fait qu'un avec
le corps ) contre l'esprit ou l'intelligence qui étudie la matière.
Les connaissances occultes ( germaniques ) doivent supplanter les
connaissances scientifiques ( apatrides ) la paresse scolaire du
Wandervogel y trouve son compte...
3) De même le nazisme oppose
à la politique marxiste matérialiste une politique spiritualiste
et sentimentale. Le marxisme est rejeté comme science ardue et non
enchanteresse, plutôt ennuyeuse pour les Jeunes. Le rêve, luttant
contre le réel, doit l'emporter par la magie de la volonté. Si von
Paulus recule à Stalingrad c'est parce qu'il manque de caractère
et surtout de foi.
4) l'antisémitisme forme
le lien entre ces trois éléments ( ou aspects ). Les nazis veulent
lutter contre la religion juive et ses filles, les religions chrétiennes,
religions de contrainte. Ils veulent lutter contre la science juive
rationaliste, et contre la politique juive de réalisme matériel
soit capitaliste, soit marxiste.
5) Enfin dans ce tableau
de l'Irrationnel il ne faut pas négliger le puissant courant romantique
allemand, à la mode depuis 1900, ce néoromantisme, ce neu-romantik,
qui pousse à la passion, à l'enthousiasme qui exaspèrent les 4 tendances
citées jusqu'à la violence, en éblouissant les yeux par le romantisme
du Beau, en les fascinant par le romantisme de l'Horreur.
Nature, Magie, spiritualisme
mystique, et antisémitisme traditionnel y sont inscrits depuis la
fin du XVIIIe siècle, environ depuis un siècle et demi.
On peut avec Jacques Droz voir dans le Romantisme l'idéologie mère
du nazisme.
Nous souhaitons insister
sur le lien caché entre l'idéal mystique et le meurtre. " Qui
veut faire l'Ange fait la Bête " en retournant cette formule
on la traduit par "qui veut commettre un crime se prétend -
et se croit même naïvement - soldat de Dieu "
Nous passons alors du 3e
élément de la structure nazie à notre 3e éclairage
de sa vision du monde : la préhistoire de la morale ou encore la
justification des lois et des actes, selon la société où vivre :
que l'on y vive déjà, ou que l'on trace la société idéale. Nous
avons été frappée par les déclarations d'Ohlendorff et du médecin
Brandt au Docteur François Bayle, psychiatre français, et par celle
de Goering au Docteur G.M. Gilbert psychiatre américain. Tous se
sentent dans leur bon droit. Ohlendorff dit : " Nous devons
être jugés selon nos propres lois. " Brandt : " Je suis
un bon citoyen, je n'ai fait que du bien pour le peuple allemand."
Et Goering : " Vous aussi vous appliquez la loi du vainqueur
". L'américain Paul Winkler écrivit en 1940 une " Histoire
de l'Allemagne secrète " où il parlait des sectes. Il montrait
que les nazis avaient choisi le retour à la religion primitive des
sacrifices humains, contrairement à la tradition des mystères égyptiens
de la paix par le travail agricole, qui permet de partager le pain
et le vin. ( le Christianisme s'en inspirera ). Le Professeur Servier
dans l'Homme et l'Invisible parle de l'initiation des jeunes des
tribus primitives à la guerre en tant que sacrifice idéaliste. Il
existe profondément dans l'espèce humaine un archétype du sacrifice
des adolescents. Evoquons rapidement en Israël, Abraham et à Carthage
le dieu Baal ; ou encore ce fait : les anthropologues diagnostiquent
l'appartenance de débris osseux à l'espèce humaine s'il y a des
traces de cannibalisme ( le singe est frugivore ).
On accuse donc les nazis
de faire - à la croisée des chemins entre le Bien et le Mal - le
mauvais choix, celui du retour aux temps primitifs. Mais avaient-ils
le choix ? Est-ce que le bon choix d'une société paisible et fraternelle
était encore possible pour un peuple en crise, réellement affamé,
réellement lourd de 7 millions de chômeurs, dont la moitié ( les
jeunes ) non indemnisés parce qu'ils n'avaient pas encore travaillé
ni cotisé. Ces jeunes errant en haillons, comme les décrit l'historien
français Henri Berr dans " le Mal de la jeunesse allemande
" mendiant et chapardant, comment deviendraient-ils des saints
?
Si l'on nous demandait un
jugement moral du haut de Sirius, nous déclarerions innocents tous
ces jeunes nazis, et pourtant ce sont bien les trois millions de
SA anciens Poulbots qui ont fait Hitler.
Pour nous aussi, pas de choix,
une fois la guerre lancée, en état de légitime défense, il nous
était nécessaire de tuer en masse. Si bien que l'agressé pratique
la morale de l'agresseur....
Quatrième éclairage : Le
fameux Surhomme, dans l'idéologie nazie, que représente-t-il ? Comment
accéder à cette dignité ?
Dans la hiérarchie de l'Inde,
le Saint, le brahmane, est une espèce de surhomme qui domine le
guerrier. Chez Platon, la tête ( représentant le philosophe ) dirige
le coeur ( représentant le guerrier). Mais le Surhomme nazi est
un guerrier. En Décembre 1940, Julius Evola - cet italien qui se
sentait plus proche du nazisme que du fascisme - prononce en allemand
sa conférence - celle-ci ne sera traduite en italien qu'en 1970
- " la doctrine aryenne du combat et de la victoire "
devant un parterre d'officiers allemands. Il affirme que le guerrier
est plus " spirituel " que le prêtre : Par son sacrifice
il est sacré et devient, au moment suprême, un Surhomme. A côté
de lui, le prêtre n'est qu'une espèce de Mère, une femme (chose
méprisable ). Bref, le surhomme est le héros, non le sage, encore
moins le saint. Il est voué à la guerre perpétuelle tel le colonel
SS dans la Bataille des Ardennes.
Quant au peuple allemand,
il est " Herrenvolk " peuple de maîtres, il domine les
autres peuples, mais il n'est pas automatiquement composé de Surhommes,
il est seulement le terreau où la plante peut lever. A l'intérieur
de la race élue, une évolution accélérée par les guerres, en éliminant
les plus faibles, fera surgir un nouvel homme.
N'espérons pas y arriver
du premier coup. Le Surhomme est un idéal grandiose, si élevé qu'il
se présente comme une asymptote, cette courbe qui se rapproche du
but sans jamais l'atteindre. Dans un avenir lointain se lèvera une
nouvelle race humaine, une race forte, physiquement et moralement
inflexible, méprisante, dominatrice, brutale, cruelle, composée
de jeunes fauves, sans cesse en guerre, même entre eux, pour "
se dépasser " et aller encore plus loin. C'est ainsi que Nietzsche
rêva " la superbe brute blonde ". On se demande parfois
si Nietzsche brun et maladif n'en avait pas peur? Hitler lui-même
confie à Rauschning : " J'ai vu l'Homme Nouveau . il est intrépide
et cruel. J'ai eu peur devant lui . " ( Hitler m'a dit page
274 ) Hitler pensait que déjà existaient quelques échantillons,
quelques " mutants ". Les combats les feraient triompher
dans la Lutte pour la Vie, en sélection naturelle. Le chemin vers
le Surhomme est la guerre perpétuelle, ou au moins tous les vingt
ans. Dans les Libres Propos, Hitler dit que l'Allemagne dégénérerait
sans une guerre à chaque génération. Puis les vainqueurs se reproduiraient
en masse, grâce au Lebensborn, ou aux colonies rurales polygames
en Ukraine, rêvées par Himmler et Darré. Ensuite les rejetons de
la race déjà sélectionnée recommenceraient la lutte pour aller vers
plus de perfection, quitte à se battre entre eux. Nous avons reçu
plusieurs témoignages de cette conception de bataille perpétuelle,
pour parvenir ou du moins approcher jusqu'à l'Etre parfait sublime.
Le Juif est méprisé parce
qu'il est l'antithèse du Surhomme : intellectuel ou commerçant,
ni agriculteur ni guerrier ( ces deux professions lui étaient interdites
par l'Eglise ) . Par métier, par obligation ou par habitude, il
est poli, conciliant, attentif aux autres, rusé. On représente,
au cinéma, le Juif Süss, obèse et sans muscles, mais d'une intelligence
diabolique. Cette intelligence pourrait permettre aux " Sages
de Sion " de dominer le monde et de vaincre la race germanique.
Il n'est donc pas possible de prétendre qu'il s'agit d'une race
inférieure, c'est au contraire une race dont le nazi a peur : autant
ou plus que du Surhomme tant espéré.... On peut par conséquent distinguer
trois sortes de racisme dans l'idéologie nazie :
- D'abord sous le signe de
la Tête, un racisme qui craint jusqu'à l'obsession la supériorité
du juif et maudit son intelligence ; parce qu'il écrit, et il conçoit
des choses que l'on ne comprend pas dit Adolf Hitler. ( Libres Propos
)
- Ensuite un racisme d'égalité
dans la différence : " les Japonais sont des aryens jaunes
" dit Doriot. Et les SS Mohamed qui sévirent en Dordogne sont
les " frères " des SS germaniques (Himmler dixit ). Allemands,
Italiens, Japonais, Arabes ( pourtant sémites ) : Ces diverses races
s'unissent en une Internationale de la Violence, sous le signe du
courage ( le coeur ) de la passion, du muscle.
- Enfin, troisième racisme,
un racisme d'infériorité pour les peuples correspondant au Ventre
platonicien : les Français, bons cuisiniers, ou couturiers ou "
petites femmes " ou " Bel Ami " ( titre de Maupassant
) mis en chanson en 40-44 ou " Chéri " ( titre de Colette
). Avec eux, on range les nègres ( on ne disait pas les noirs à
l'époque ) merveilleux danseurs, joyeux, insouciants, parmi les
civilisations du plaisir, du ventre, qui doivent rester esclaves
soumises . Est comptabilisée aussi dans le "ventre" la
civilisation du commerce et du profit .
Pourquoi les Jeunes allemands
ont-ils accepté, répandu, maintenu cette idéologie de Violence et
de racisme ? parce que la bagarre fait partie de la nature des adolescents.
Prouver sa valeur par ses muscles et ses poings, se grouper en meute,
en clan, est un instinct normal chez les jeunes mâles de toutes
les espèces animales surtout mammifères. Luttes conclues aux moindres
dégâts chez les bêtes... ( Konrad Lorenz ) Mais l'espèce humaine
possède la particularité de dévorer ses propres membres en cannibalisme,
ou de lancer un clan humain contre un autre clan humain, avec "
Haine". Les Jeunes formant toujours les troupes de choc de
la tribu.
En conclusion nous nous demanderons
: Est-ce que le nazisme aurait pu " bien tourner " ? La
définition, banale, du bien étant l'orientation vers le développement
( Aristote ) et le refus de détruire. Par exemple, les Amish, admirables
pacifistes, petit groupe germanique vivant en Amérique, sont descendants
des Anabaptistes de Munster, célèbres pour leur cruauté, et comparés
en cela aux nazis, par Reck-Malleczwen .
En 1938, disait Joachim Fest,
si Hitler était mort dans un attentat, il serait apparu comme le
plus grand et le meilleur chef politique allemand. Il avait supprimé
le chômage, redressé le moral du pays, conquis des territoires sans
guerre. David Schönbaum donne les chiffres glorieux de l'économie
en plein essor entre 33 et 38, nous les avons cités. Toujours en
1938, Hitler aurait pu suivre le conseil du Dr Schacht
: ne plus augmenter l'effort militaire, et répandre l'influence
de l'Allemagne par le développement industriel. Mais Hitler était
un névrosé obsédé de conquêtes et d'antisémitisme.
Une autre question reste
sous-jacente : l'idéologie de la jeunesse allemande, exprimée dès
les environs de 1900 par le Wandervogel, devenue morale officielle
de la Hitlerjugend, pouvait-elle inspirer la constitution d'un Etat
paisible ? En 1968, comme nous parlions à un surveillant général
de détacher la jeunesse de la violence, il nous répondit :
- " On ne peut pas donner
aux Jeunes comme idéal de faire de bonnes études et d'exercer un
vrai métier. Ca ne suffit pas ".
A la même époque, certains
de nos élèves nous ont dit :
- " Vous, vous avez
eu la chchance ( sic ) d'avoir la Guerre et la Résistance,
nous, on n'a rien (sic ) pour prouver notre valeur ".
Au milieu d'une époque florissante,
nous avions pu quand même les raisonner. Mais, de toute évidence,
il est dangereux de donner le pouvoir à la Jeunesse.
Bernard-Henri Lévy dit que
le fascisme est un juvénisme et que réciproquement le juvénisme
tourne facilement au fascisme, parce que la Jeunesse est l'âge du
bouillonnement irresponsable, de l'attrait du risque et de la Mort.
On parle en ce moment des suicides d'adolescents et on a, en Février
1997 vu, particulièrement chez Jean-Marie Cavada, les suicides de
jeunes qui n'ont rien à désirer, en apparence. Rien, si ce n'est
du rêve, du pittoresque, de la lutte. Or vivre sous le signe du
coeur platonicien, du courage guerrier, de la passion irrationnelle,
c'est vivre sous le signe de la Mort.
Le " pessimisme culturel
" dit-on, serait précurseur et annonciateur du nazisme. L'adolescent
est souvent pessimiste. Quitter la protection de la famille pour
aborder un monde inconnu et redoutable, cela excite l'agressivité
ou la fuite par suicide, ou les deux alternés. Or la guerre présente
les deux faces : tuer et être tué. Le sacrifice de Langemarck en
1914 exprime le mieux cette ambiguïté. Ensuite, la jeunesse nazie
affirmait son pessimisme par la formule célèbre : " Ce monde
est mauvais, pourri, notre devoir est de le saccager ". Soulignons
que cet état d'esprit était né juste aaavant la l la guerre
de 14, en Allemagne, sous la plume de gens comme Thomas Mann, qui
se sont repentis plus tard. La responsabilité des clercs les plus
illustres est indéniable. Nous avons cité dans le DEA des pages
effarantes de Hermann Hesse, autre Prix Nobel de littérature.
Et pourtant une libération
de la Jeunesse, une prise de responsabilités à sa mesure était fort
souhaitable. Des gens raisonnables en avaient tracé le projet, sans
exclure réflexion, instruction, métier. Dans le DEA nous avions
parlé de Natorp, Hoffmann, Wyneken et quelques autres ; mais ils
étaient minoritaires et n'ont pas été suivis, accusés par les Jeunes
de rester " autoritaires " parce que ces Jeunes refusaient
l'instruction et le métier.
Face aux folies nazies que
dans son enfance il a vécues, à l'intérieur de la Hitlerjugend,
le sociologue allemand Hans Peter Richter demande une prise de conscience
et u une loi contre l'esclavage idéologique des enfants.
Cet esclavage commence dès qu'un groupe social ( église, association,
parti ) excite les enfants vers un fanatisme sans ouverture. Richter
demande que soit mis au ban des nations démocratiques tout groupe
qui endoctrine des mineurs, dans l'exclusive et dans l'ignorance
des autres groupes. Nous pouvons penser aux sectes et aux tendances
de certains extrémistes actuels de tous bords. Nous donnerons la
parole en dernier lieu à Fritz Stern et à Zeev Sternhell. Leurs
deux messages sont presque identiques : le premier dit : "
Pouvait-il y avoir un autre III e Reich ? Peut-on abdiquer
la raison, glorifier la force... sans préparer le triomphe de l'irresponsabilité
? " ... Là est le " danger du désespoir culturel "
. Le second dit : " Quand l'anti-rationalisme est associé à
un intense pessimisme culturel, quand il va de pair avec un culte
prononcé de la violence.... alors la pensée fasciste prend fatalement
corps. "
Le sport
et l'Eros
Mankiewicz, dans sa louange
du nazisme, en 1937, affirmait que le nazisme c'est la Vie.(1) A
la même date, Marcel Dutheil, lui antifasciste, constate chez les
allemands, une immense aspiration à la Vie, à la Joie, au Plaisir
de toute une jeunesse très nombreuse. " L'apport d'une masse
jeune... a transformé qualitativement la société " et il cite
Edmond Jaloux : " Allez en Allemagne et vous rencontrerez partout
la Joie de Vivre. " M. Dutheil commente " la joie de vivre
germanique n'a d'autre secret que la jeunesse. " L'origine
de ce besoin de mouvement, de liberté, d'éclatement remonte aux
année 1900, précédant la Première Guerre Mondiale. Mais leur expression
culmine, - même et surtout contrariée par la crise - sous la République
de Weimar. Cette exaltation et cette explosion seront visibles au
premier abord dans le costume, voire dans l'absence de costume.
Examinons les gravures de mode de 1910, 1020, 1990 (3). Entre 1910
et 1920, il s'écoule dix ans, entre 1920 et 1990 soixante-dix ans,
mais il y a beaucoup plus de différence entre 1910 et 1920 qu'entre
1920 et 1990. La Grande Mademoiselle Chanel est passée par là :
ne portez plus de corset, cette " ancienne prison de femmes
" ( selon la définition des mots croisés ), que vos jupes montrent
vos genoux et votre décolleté vos seins... Depuis les " Méveilleuses
" on n'osait plus de telles audaces : une Révolution... Seuls
les hommes conservent, peu modifié, le complet-veston malcommode,
malsain et laid.
On aurait tort de croire
futiles ou superficielles des considérations sur le costume : loin
d'appartenir à la " petite " Histoire, ( comme les récits
croustillants des aventures sentimentales ratées d'Adolf H...).
Elles s'accordent à la plus profonde Histoire, celle des religions,
des moeurs, des idéologies, des Révolutions. Par exemple les pays
catholiques s'affolent à la vue de la chair, comme Tartuffe ; les
pays protestants au contraire attachent plus d'importance aux intentions
qu'aux vêtements ou aux cérémonies. Les sociologues américains font
entrer l'ensemble de ces attitudes dans " la personnalité de
base "* de chaque nation ou religion. De nos jours
on parle " d'identité " ( corse ou bretonne...)
Le costume exprime le fond
de la mentalité caractéristique d'un groupe humain, au même titre
que les monuments et les arts. Ainsi donc la révolte des jeunes
Allemands contre le malaise et l'hypocrisie vestimentaires, en avance
sur le reste de l'Europe, est une quasi révolution. En 1900 - 1930
l'explosion juvénile exprime une " mutation brusque "
de l'esprit religieux qui se détache du christianisme pour adopter
une religion moniste et païenne : une nouvelle "Weltanschauung"
doublée d'une nouvelle morale. Le corps et l'âme ne font qu'un.
Ne nous y trompons pas : cette affirmation se situe aux antipodes
du matérialisme. Car le corps est sacré, spirituel, en tant qu'expression
de l'âme. Nous verrons plus loin, à propos du racisme, que l'hérédité
se fait par l'âme qui recrée le corps selon la vertu des ancêtres.*
* Mikel Dufrenne a publié aux P.U.F une étude intitulée
" la personnalité de base "
* Voir chapitre IX
Bref
ce sont les dualistes ( cartésiens, rationalistes ) qui ont perdu
le sens du divin.** Si le corps est sacré, il faut le
montrer, l'aduler, le soigner, veiller à la santé et à l'hygiène.
Passons à une curiosité
mi-libertaire, mi-médicale : le nudisme, le nudisme intégral, et
référons-nous au livre d'images : " Bilder aus dem Wandervogel
- Leben. "(4) De 1913 à 1933 le photographe Julius Gross a
suivi et illustré les randonnées de nos Fils de la Cigogne***
avec de magnifiques reportages, de valeur comme photos d'art autant
que comme témoignage historique.
** Voir chapitre VIII
*** Nous proposons "cigogneaux"
comme traduction de " les Wandervôgel "
"
Il représente des corps humains nus dans la libre Nature "(5)
le sentiment du corps est quelque chose de sacré, qui a un "
sens " qu'on appelle " Rhythmus ". Un groupe de jeunes
filles nues danse sur la prairie (6) Honni soit qui mal y pense!
Le nudisme est pratiqué même par d'austères protestants ; eux, y
voient une espèce de sincérité. Le voyageur Paul Morand, après ses
visites dans des camps germaniques naturistes, alla en Algérie,
où les femmes voilées et empaquetées lui parurent plus désirables,
plus excitantes... en raison de leur mystère .Tandis que les adolescentes
nues sportives n'éveillent " pas de mauvaises pensées. "
Le nudisme est d'abord une hygiène corporelle ensuite une hygiène
morale : les très belles photos de Julius Gross laissent une impression
de naturel et de pureté, de grâce " innocente et divine ",
mais païenne et panthéiste. Nous pensons irrésistiblement aux statues
antiques dont notre professeur de latin - un catholique très convenable
- nous montrait les photos en expliquant " Ce sont des femmes
non habillées. " (7)
Le problème médical importe
bien davantage. Pensons à tous ces enfants de familles nombreuses
ouvrières logées dans des caves ou des mansardes, taudis. Eux, jouent
dans la rue, sans soleil, entre les immeubles ; et, au fond, les
enfants bourgeois enfermés en appartement ne sont guère mieux lotis.
Le Dimanche, aux centres aérés, (Schülerortsgruppen) on respire,
on s'épanouit. Non seulement le soleil apporte l'énergie nécessaire
pour éviter le rachitisme et toute sortes de maladies osseuses,
mais l'aération est indispensable à la peau. Elle absorbe seulement
le dixième de l'oxygène total, pourtant, sans ce dixième, c'est
la mort : par exemple celle d'un enfant peint en or pour le Carnaval.
Sans aller jusqu'au drame, les costumes trop enveloppants et trop
serrés dévitalisent enfant et adulte. Autre progrès : pour être
nu, il faut être propre. On apprend à se laver - on utilise le "
tub ", une espèce de grande cuvette plate en fer galvanisé,
un seau empli d'eau, chauffé au soleil, se place à côté avec une
grosse éponge. Une hydrothérapie est même enseignée aux adolescents
: C'est la méthode Kneipp (8). Les Français de notre génération
se souviennent de la mode des " sandales
Kneipp " formées de lanières souples et quon portait
sans chaussettes : grande innovation ! au lieu des chaussures fermées
avec chaussettes génitrices de moisissures cutanées, de transpiration,
dodeurs et de refroidissements. Certains portèrent les sandales
Kneipp même en hiver. Sébastian Kneipp, pasteur et guérisseur (1821-1897)
prêche un salut par la Nature (Naturheil) nous disons de nos jours
" remèdes naturels " ou encore " médecines
douces ", la marche, lhydrothérapie, labstinence
de tabac et dalcool, tout cela sapparente à lidéal
de la Croix Bleue dont nous avons déjà parlé (9). On retrouve les
conseils de Kneipp dans la revue suisse " Vie et Santé "
qui est en bon renom encore actuellement (10).
Toujours au sujet de la santé,
la nourriture proche de la Nature est la plus bénéfique. La colonie
de vacances loge dans la paille à la ferme ou à côté delle
sous la tente (11). Les oeufs frais, le lait cru, le pain noir -
jadis symbole de misère, de nos jours luxe - fortifient les enfants
des villes. Nous rapprocherons ce texte qui est de 1918, de la découverte
des vitamines, faite à la même date par un médecin de Bruxelles.
Cétait pendant lépidémie de grippe espagnole. Il remarqua
que les enfants des banlieues résistaient mieux à la maladie que
les enfants bourgeois aisés. Il pensa à la nourriture. On avait
créé autour des grandes villes des " jardins ouvriers "
(12) où les humbles faisaient pousser de bons légumes : la grosse
soupe aux choux dans laquelle on trempait le pain noir était plus
nourrissante que le pain blanc, les pâtes fines, le bouillon. Dans
les familles riches, on jetait les légumes, chose vulgaire, pour
ne garder que leau ! Nous lavons vu faire encore entre
les deux guerres.
Nous avons évoqué plus haut
le " sentiment du corps " : Chez les Wandervögel
on ne cultive pas simplement le développement physiologique, mais
aussi lépanouissement de la personnalité : la volonté et leffort
dans le sport, surtout pour les garçons ; le sentiment, la conscience
de la valeur de lâme pour les filles. Commençons par celles-ci.
Les photos nous montrent leurs exercices de groupe, en 1921 et 1925.
(13). Mais il y avait aussi des danses individuelles où chacune
exprimait son interprétation, cétait assez bref, pour donner
à toutes un rôle. Cependant cétait important, puisqualors
le " sentiment du corps " (Körpergefühl) atteint
quelque chose de sacré, un " Erlebnis " ! Une
expérience vitale accompagnée dun sentiment daccord
et de communion avec la Nature, car " les choses du monde
ne sont plus des objets inertes mais elles aussi Mouvement et Rythme "-
(14)* Nous pensons à Hölderlin et aussi aux avertissement
prophétiques de Heine : la religion naturiste sera à lorigine
des fanatismes les plus cruels. Le sport, la danse, la musique ne
sont pas seulement des arts, mais un accès au divin. " Kraft
durch Freude ": La Force par la Joie, ce slogan doit être
compris comme une mystique... Ensuite la mystique excuse - que dis-je
? glorifie! - toutes les passions voire les crimes.
*
Selon Ludwig Klages - le Bergson allemand - le "Rhythmus
" est une propriété de la vie, qui exprime tout particulièrement
la qualité, la valeur de cette vie, qualité que lon peut sentir
intuitivement, dans un paysage, un objet dart, des gestes,
et même dans les écritures. Ludwig Klages est graphologue, il analyse
par exemple lécriture de Beethoven, son rythme bouillonnant
et génial. Nous reprendrons encore cette notion de "Rythme"
avec Marion von RAS un peu plus loin.
Lidéal
viril nest pas seulement la musculation, mais aussi la domination
des éléments et de la peur. Un des membres de notre famille, élève
de Première en 1941, vécut, dans un lycée de région parisienne,
laventure suivante : Leur jeune professeur de gymnastique,
alsacien, avait fait un stage en Allemagne. En plein mois de Janvier
- et il gelait - il fit mettre ses élèves torse nu et les invita
à passer sur la poutre supérieure qui tient les agrès, à trois mètres
du sol. Le proviseur dont les fenêtres donnaient sur la cour, au
premier étage, vit - ô stupéfaction - un élève passer devant ses
vitres. Il descendit interdire lexercice.
On peut dire que le nudiste
- sportif accepte sa condition animale avec non seulement courage,
mais aussi à la fois innocence et cruauté aussi naturelles lune
que lautre dans l'Univers ( le Tout ) Il s'y ajoute une certaine
humilité, une égalité: plus un chef veut simposer plus son
costume est allongé, compliqué, orné. Les Wandervögel sont égalitaires,
les SA et même les SS - qui en sont issus- vivent plus près de leurs
hommes de troupes que les officiers de la Wehrmacht et sont plus
aimés qu'eux.
Cependant " Les
Dieux du Stade ", film de Leni Riefenstahl vont, sous
Hitler, illustrer lattrait de la nudité, de la beauté athlétique,
de leffort; Cela na rien de spécifiquement nazi, tant
quon ny ajoute pas la violence; (celle des " supporters "
de nos jours par exemple !)
Il y eut parfois dans les
Ligues de jeunesse non affiliées au Wandervogel des résistances
contre la nudité. Golo Mann dit par exemple : " Nous nallions
quand même pas nous promener à moitié nus avec des cheveux longs
? et la plupart des jeunes sont réticents devant la nudité totale
de deux lutteurs (15). Notons que Golo Mann est éclaireur dans une
association gouvernée par des adultes parmi lesquels des nobles,
et dinspiration plus " bourgeoise ", plus
traditionaliste que le Wandervogel. Les pionniers nayant pas
les moyens financiers dacheter des agrès, se contentaient
de marcher. Parfois de marcher jusquà lépuisement. Golo
Mann dit : " les plus jeunes, nous étions tous occupés
de nos pieds " (16) ou fatigués par des charges excessives
: " G. est parti avec un sac à dos épouvantablement lourd
pour une marche déclaireurs de dix à quatorze jours. "
(17) Cétait en 1923, des " enfants de treize ans "
font " une marche de 18 kilomètres " (18) un
médecin dit que cela peut " ruiner la santé "
(19)
Mais les nationalistes y
voient le secret de la " germanité " et sappuient
sur un texte de Paul de Lagarde, un des auteurs favoris de Fischer
et Blüher : " Nous devons toujours devenir davantage
allemands. La randonnée est la plus allemande de nos tendances innées,
est au fond de notre âme, est le miroir de notre caractère national
".(20) A lépoque romaine les germains étaient bien des
nomades, en effet !
Nous voyons là comment un
sport ou une hygiène, - bénéfiques en soi, si bien dirigés - peuvent,
par un artifice verbal et des slogans, devenir la marque distinctive
dune idéologie ou dun régime.
Même des activités encore
plus inoffensives - puiquon ne peut les accuser de cultiver
des aptitudes militaires - serviront la propagande nazie : le musique
et les marionnettes ! Les mélodies populaires anciennes, chantées
en choeur, accompagnées de guitare et parfois de violon .... le
" spectacle de poupées " représentant les légendes,
les héros, le folklore spécifique au peuple allemand... Tout cela
sert le mouvement " Blut und Boden " et se lie
à la " Bluboliteratur " véhiculée par ces moyens.
(21) Car ce sont les Wandervögel qui promèneront dans villages et
même villes tous ces " lieder ", toute cette
histoire vulgarisée, tous ces mythes. Nous en reparlerons plus loin.
Il y a bien continuité de
1890 à 1933 mais aussi accaparement au profit dun clan : le
sport cest nous, la santé cest nous, et même, avec le
Secours dHiver et les quêtes des gosses de 8 ans en chemise
brune, la solidarité, la générosité, la communauté du Volk, le Peuple,
cest nous ! (22) Nous répondrons donc pour cette première
partie de notre recherche à la question que pose Matthias von Hellfeld
: " Est-ce que la Hitlerjugend est successeur légitime
de la Jugendbewegung ?.... ou bien a-t-elle détourné en sens contraire
ses valeurs et ses buts ? " (23) Nous répondrons en nuançant
notre opinion : " Oui et Non. " Oui, ce sont
bien les mêmes thèmes de valeurs : sport, santé, musique, danse,
expression corporelle. Mais on y ajoute une étiquette : un insigne
à croix gammée, sous lequel, ensuite, on fera passer et on glorifiera
la violence et loppression. Non, ce ne sont pas les mêmes
buts. Cest le même hydromel, on y a seulement ajouté du poison.
Toutefois nous poserons une
autre question : Y-a-t-il des valeurs qui se laissent détourner
plus facilement que dautres ?
La glorification du muscle,
de la force, peut-elle conduire insensiblement de la simple brutalité,
bavure sifflée par larbitre, à la violence, à loppression
et au meurtre ? Ecraser le plus faible ? Au nom de Darwin et de
Hitler ? Une information troublante nous vient des morphopsycholoques
: le type athlétique - qui est à la fois le plus beau type humain,
et le mieux adapté à la vie dans la nature - comprend, statistiquement,
le plus de violents et de criminels. Nous répétons " statistiquement "...
et rappelons - notion souvent oubliée - que jamais la statistique
nest valable pour un individu, de même que jamais un cas individuel
ne peut infirmer les calculs statistiques. Nous sommes particulièrement
désolée et déconcertée quand nos contemporains regardent la maladie
et le handicap comme des vertus à ne pas éradiquer. Tout cela au
nom de lanti-fascisme ! Si Hitler a utilisé la santé et le
sport pour sa " Propaganda " cela ne peut signifier
que la santé est un mal ! Si lon peut craindre quun
athlète " Superman " abuse de sa force, on peut
aussi espérer quil secoure autrui. En soi, la vigueur physique
est plutôt un bien.
Cest ailleurs que nous
trouverons la faille : dans lirrationnel, dans la passion,
le fanatisme, labsence de réflexion cest-à-dire dans
les attitudes desprit qui laissent passer la violence sans
retenue.
L'irrationnel est lié, dès
le départ du Wandervogel au refus de l'instruction, considéré comme
une des trois libertés fondamentales des Jeunes, avec le refus de
la morale et le refus du travail social .* Les psychologues
de l'enfance regardent le refus scolaire comme le premier degré
de la délinquance, la première haine, liée à des déboires familiaux
la plupart du temps** d'où exaspération, outrance, révolte.
Au contraire, l'idée de raison
est à l'origine l'idée de mesure ( ratio = ration ) Deux
proverbes antiques en éclairent le sens :
En grec " ouden agan
" *** qui exprime la notion d'équilibre, d'harmonie,
de maîtrise de soi.
En latin " nil mirari
" c'est-à-dire ne se laisser éblouir par rien.
Les deux ensemble signifieraient
une incitation au " bon-sens ". Le chef d'une grande entreprise
disait : " le bon-sens est la forme la plus aiguë de l'intelligence"
à ses ingénieurs qui en manquaient. Goblot voyait dans le goût de
la vérité et dans l'esprit scientifique des facteurs moraux.
Peut-être l'irrationnel
est-il déjà de la violence ?
*
Ces trois libertés ont été examinées dans notre DEA dont le condensé
est donné supra
** Un témoin allemand a dit : "
si le fils s'entend bien avec son père, il ne va pas au Wandervogel
". Mendel parlant du mazisme donne pour titre à son livre "
La Révolte contre le Père " Il n'est pas le seul à l'incriminer
( Bouthoul, Sauvy etc )
*** la traduction mot-à-mot "
rien de trop " rend mal le sens profond.
Dans
" le Wandervogel " nous avions examiné le point
de vue masculin, dominant en exclusivité avant la guerre de 14.
Voici maintenant le point de vue féminin, voire féministe, exposé
par Marion von Ras sur " la question des filles randonneuses ".
Jusquen 1914 les filles eurent " à peine droit à
la parole ". Il a fallu que la guerre propulse les femmes
à lusine pour quon les considère autrement que comme
des objets (24) Et même lindépendance totale ne date que 1919
- 1920 (25) Lironie veut que, entre 1906 et 1920, " la
question féminine " se pose sous des " chefs
masculins " (26) Tout en revendiquant " leur
être propre ". Les filles présentent dès 1906 les mêmes
revendications que les garçons: contre les locaux scolaires, contre
les professeurs, contre la ville, ses usines et ses bureaux. Elles
surtout, particulièrement, aspirent à sortir du carcan familial,
pire pour elles que pour leurs frères. Elles sélancent pour
conquérir " plus despace et ce nétait pas
seulement pour bouger le corps et pas seulement dans un sens géographique. "
La guerre leur donne loccasion (pour les filles de 17 à 19
ans) de commander les petits du Wandervogel, comme cheftaines. Un
article du Journal de Wandervogel de 1925 louange leur action, mais
maintenant que la guerre est finie, tout doit rentrer dans lordre
normal. En effet les filles sont devenues " garçonnières "
et les petits garçons efféminés. (27) Reconnaissons que les filles
ont acquis un certain aplomb. Elles se montrent face aux problèmes
sexuels aussi franches et hardies que Fischer et Blüher. Voici la
suite de leur texte que nous venons de couper pour citer les " machos "
: " La conquête despace, de lumière, de soleil,
va de pair avec une conquête de son propre corps et du plaisir des
sens ".(1919) Le corps est la vérité de lindividu. Non
seulement réformer le vêtement est une question morale (la nudité
comme preuve de sincérité) mais elles magnifient limportance
de lEros. Elles soutiennent le point de vue de Wyneken : " les
deux pôles du royaume spirituel sont Nature et Eros "
(soulignement dans le texte) (28) Tout commence dans la pureté,
dans léblouissement de la beauté des corps nus. Marion von
Ras parle du peintre Fidus qui comme le photographe Gross représente
les adolescents nus , " nus et purs ". Il prophétisait
la pureté de lâme et du corps, comme de la Nature et de la
Kultur. (29) Parmi les admirateurs de la Jeunesse elle cite des
sculpteurs aussi et même un film " Le chemin vers Force
et Beauté " (30). Sy ajoute une espèce de mystique
: celle du rythme : le RHYTHMUS allemand est " une expérience
cosmique ", celle de lâme liée au corps (31) les
battements de mon coeur et les régularités de la Nature. Le rythme
des saisons, celui de la Vie et de la Mort. Le Destin quil
faut suivre et aimer (lamor fati de Nietzsche) comme par exemple
les rythmes sociaux que sont les " cycles "
chers à Spengler. Ainsi lon soude lindividu, le Peuple
et la Nature. (32) Par exemple le groupe est un corps dont la cheftaine
est le " coeur ". Les filles regardent la société,
elle aussi, comme une communauté organique qui a sa vie propre :
" lAllemagne comme un corps " (33) Par
conséquent les filles, patriotes, envient les garçons de pouvoir
sappeler " allemands " car seuls, eux,
sont les " Jeunes ", la femme nétant ni
citoyenne, ni soldate tandis que les adolescents mâles se parent
du titre de Chevalier Blanc et parlent dEtat dHommes.
(34)
Mais larrivée du sexe
faible parmi les ligues masculines pose problème. Certes, il y a
eu, comme pour Blüher, des " rumeurs " parlant
" dAmazones " et dandrogynes (35)
; cela paraît cependant plus rare que lhomosexualité virile,
en tout cas la question des filles-mères adolescentes devient dramatique.
Pourquoi ces mouvements plutôt féministes se sont-ils ralliés à
Hitler ? Tout simplement à cause du Lebensborn et de la reconnaissance
de la liberté sexuelle. Alors peu importent les déclarations misogynes
des " Trois K " ! (36) dailleurs parfois
contestées au sein même des HJ (37) Dautres formes de mariage
(concubinage ou simple reconnaissance de lenfant) une maternité
honorée avec ou sans époux, la possibilité dabandonner lenfant
à une oeuvre sûre... Toutes ces revendications datent du temps du
Wandervogel (1890) (38)
Werner Kindt réunissant la
documentation du centre darchives des mouvements de Jeunesse
dit que tous les journaux parlent de " Not des Eros"(39).
Wyneken décrivant la " Nouvelle Jeunesse " exprime
" une misère sexuelle de la Jeunesse "*
(40). Cependant Wyneken tout en voulant réhabiliter lEros
veut garder une mesure raisonnable, et conserver un certain sens
du respect dautrui et des responsabilités. Il réclame le droit
au nudisme mais conseille la sublimation, comme le photographe Gross
et le peintre Fidus pour qui " nu " va avec
" pur ". Wyneken souhaite aussi des réunions
de Jeunes des deux sexes dans des maisons de la culture, pour danses
et opérettes. (41) Tout cela, cétait aux environs de 1900.
Ensuite en 1933 Günther Gründel conseille encore une certaine " Santé
et Beauté sans pruderie " avec quelque chose dérotique
(sublimé) tout en honorant la maternité légitime ou non (42). Mais
le parti nazi fait fi des demi-mesures. Hitler dans les Libres Propos
affirme fréquemment quil veut délivrer les Jeunes de la religion
et de la pseudo vertu sexuelle. Il sattire par là les faveurs
de toutes les jeunes filles.
*
COHN-BENDIT en 68 au ministre Missoffe
"Connaissez-vous la misère sexuelle des étudiants?"
inauguration de la piscine de Nanterre
Cohn-Bendit fut élève de lOdenwaldschule
héritière de lesprit du Wandervogel
Marius Cauvin page 238 OC
Nous avons peine en 1996
à imaginer lhorrible situation des " filles-mères "
avant Hitler. On en a gommé jusquau nom, cette situation sexprime
comme celle de " mères célibataires " ou plus
pudiquement " famille monoparentale ". En France
la honte, le mépris, lexclusion persistèrent jusquaux
environs de mai 68. (43)* En Allemagne dès 1933, grâce
à Adolf Hitler - lui-même petit-fils dune fille-mère - cest
fini ! Marcel Dutheil au cours dun voyage en Allemagne en
1936 décrit " lattitude de la jeune fille allemande
devant lamour ": Elle " profite dune
liberté totale " elle " néglige lopinion
" il ny a plus dattachement et " Werther
ne meurt plus pour Charlotte " . (44) Walter Jaide dit
quau temps du nazisme régnait le " sexuelle
libertinage " (45). Reck-Malleczewen constate que " la
désinvolture sexuelle est partie intégrante du programme nazi ".
(46) Stefan Zweig se rappelle qu " être soupçonné
davoir encore son pucelage à seize ans aurait passé pour une
injure. " (47) Tout cela pour flatter la Jeunesse car le parti
nazi saffirme comme " le Parti de la Jeunesse".(48)
Mais aussi et surtout pour favoriser un bond en avant de natalité.
Alfred Rosenberg dit : " la femme sans enfant - quelle
soit mariée ou non - est un membre incomplet de la communauté nationale. "
Erika Mann ajoute : Pour la fille, " peu importent les
sentiments à légard du père de son enfant. Les hommes? ils
peuvent être nombreux ! à chaque année le sien .... à condition
quils soient de " race pure " et " en
bonne santé ". Un professeur de Leipzig déclare : " la
femme qui na pas denfant doit être considérée comme
déshonorée " Et aussi : " un gaillard plein dallant
suffit pour dix à vingt jeunes filles ".
*
Entre les deux guerres, en France, les filles-mères étaient chassées
de la maison parentale avec "lenfant de la honte".
La plupart se plaçaient comme bonnes à tout faire pour élever le
petit. Certaines se prostituaient. Beaucoup se suicidaient et leurs
parents refusaient le corps et nassistaient pas à lenterrement.
Les
auberges de jeunesse offrent les meilleures chances daccomplir
lacte tellement prôné par les autorités. Le nombre des grossesses
et des naissances illégitimes est dès lors considérable. Les parents,
accablés de chagrin, sont impuissants.... (49)
Bien entendu sils querellent
trop leurs filles, les voilà sous le coup damendes, prison,
camps de redressement.... mais aussi laspect pécuniaire atténue
lindignation morale : aide à la famille et allocations diverses.
La meilleure solution pour les " mères de la Nation allemande
" est cependant le Lebensborn. On na plus aucun
souci. On retrouve quasiment sa virginité.... Lorsque après 45 les
enfants abandonnés puis adoptés ont recherché leurs parents " naturels "
presque tous ont essuyé un refus catégorique de leurs mères ou pères.
On ne veut pas les voir. Ils nexistent pas. Les jeunes écervelés
de 1933 sont devenus en 1946 des bourgeois et des bourgeois respectables
: Ils ne veulent pas troubler la sérénité de leur couple et de leur
famille avec le souvenir de ce qui leur paraît, quand même, une
faute et une tache sur leur honneur. Une émission, sur Arte, du
Samedi 29 Janvier 1994 donnait cette information dégoïsme,
sous le titre " les enfants du Lebensborn",
en conclusion. Au début lenquête démystifia la rumeur du " bordel
pour SS " et du " haras ". Ce furent simplement
des maisons -maternelles pour filles-mères anonymes. Elles donnent
en adoption des enfants quelles ne peuvent ou ne veulent pas
élever. Au Lebensborn on nadmettait que les enfants de " pure
race ". Cest sur ce point que lentreprise est critiquable.
On la souhaiterait ouverte à toutes ! En soi, ce nest pas
une mauvaise oeuvre : Madame Herriot à Lyon en 1935 avait créé une
clinique de sauvetage de ce genre. Seul le racisme est condamnable.
Mais le racisme inverse est également condamnable. Nous avons entendu
ces enfants - devenus quinquagénaires - dire : " Jai
honte dêtre blond. Jai honte dêtre aryen. "
Cest comme si on leur avait épinglé une étoile noire au fond
du coeur. (intériorisation dun préjugé) on nous a dit quon
les avait enlevés - eux, enfants de quatre à huit ans - aux familles
adoptives allemandes pour les jeter dans les bras de leurs soi-disant
" vraies mères " (filles à soldats de diverses
nationalités) qui nont pas voulu deux, si bien quil
a fallu les remettre sur le marché de ladoption. " La
cause des enfants " dirait Françoise Dolto, eût exigé de les
laisser aux gens qui les avaient élevés. Les vrais parents ne sont
pas ceux " du sang " mais ceux qui se dévouent...
Nous avons honte, nous, de ce soi-disant anti-racisme qui a traumatisé
des êtres humains pour toute leur vie. Ils en souffrent encore...
et sont châtiés " parce quils sont nés "
.(50) Les parents adoptifs étaient-ils nazis? possible, comme 90
% des allemands. Pourtant on na pas enlevé sa fille à Madame
Goering ? Etait-ce pour respecter la loi nazie " du
sang "?
Ces drames psychologiques
des enfants du Lebensborn sont un peu ceux de tous les adoptés....
qui ont tort de rechercher leurs soi-disant " racines"
et sont déçus. " Mon père, ma mère, pourquoi mavez-vous
abandonné ? " Cest le résultat de la liberté sexuelle
et du populationnisme nazi. Mais le régime na fait que satisfaire
aux désirs exprimés par limmense majorité, la quasi totalité
des Jeunes !(51) Tout cela était réclamé depuis 1890 cest-à-dire
par rapport à 1933 depuis 43 ans, presquun demi siècle. Erika
Mann parle dégoïsme sexuel. (52)
Louis Dupeux rappelle que
Himmler et Darré avaient fréquenté la ligue " Artam"
qui prévoyait des colonies rurales hiérarchisées, polygames, cent
hommes pour mille femmes, dans un but de " multiplication
nordique " (53). Dans les " Discours Secrets
" Himmler félicite aussi le concubinage, lunion libre,
toujours au nom de la prolifération : " quun
couple vive avec laccord des autorités ou non, cela ne changera
rien à la perpétuation dun peuple. " (54) Le père dun
SS mort, dans sa détresse, demandait : - " Avait-il une
petite amie ? " espérant un petit-fils. Himmler conseillait
daccueillir les enfants illégitimes, (55) cest louable,
certes, mais tout cela vise uniquement à la surpopulation. Lhomosexualité
aurait-elle disparu ? On ne lui fait plus de publicité, cependant
contrairement aux apparences, elle est bien tolérée. Himmler dans
ses Discours Secrets avoue : quil y avait un demi-million
dhomosexuels parmi les Jeunes, mais " un grand
nombre dentre eux nétaient pas vraiment homosexuels,
ces moeurs étaient absolument courantes dans les associations "
(Bünde) nous répétons car cela en vaut la peine : " ces
moeurs étaient absolument courantes dans les associations ".
Or Himmler lui-même, selon Peter Stachura, était un ancien du Wandervogel
ainsi que plusieurs autres chefs nazis, Röhm notamment. Donc cétait
banal, général, de peu dimportance. La bisexualité nest
pas gênante pourvu quon fasse des enfants. On ne vise quà
augmenter le sang nordique .(56)*
*
devant le problème du célibat obligatoire dun million et
demi de femmes françaises après 1918,le Parlement français en 1919
avait discuté de la possibilité dautoriser la bigamie.
Toutefois,
le mariage est recommandé : dans les fiches de police des SS arrêtés
à Berlin en 1945, il y avait seulement six célibataires sur deux
cents hommes. (57) Mais toutes sortes dunions sont possibles
: en effet, des hommes vont mourir dit Himmler . Il y aura des femmes
en surnombre. La bigamie serait envisagée . Hitler lui-même dans
les Libres Propos pense que " la Nature veut que
la femme procrée " sous peine dhystérie*,
mariée ou non. (58) et quil faut faire beaucoup denfants
parce que cest le moteur de la guerre (59). Dans ses déclarations
contre le christianisme il méprise la pudibonderie (60) et il préfère
les vaillants gaillards évoqués plus haut par Erika Mann, ou espérés
par la ligue Artam!
* Ce nest pas évident si lon compare la sérénité
des religieuses et les colères exaspérées des mères contre leurs
enfants ou encore l'idée de Régine Pernoud : Si les femmes ont eu
tant de martyres chez les premiers chrétiens, c'est qu'elles considéraient
la chasteté comme une liberté, par rapport aux grossesses perpétuelles.
(Régine Pernoud "La Femme au temps des Cathédrales " p.19
à 28)
BREF
La glorification du développement
du corps, sportif ou sexuel, montre bien comment le nazisme a exploité,
exagéré, puis dévié des tendances au départ, en elles-mêmes, louables.
Il est difficile de prétendre que le nazisme hérite de lordre
moral impérial ou de la discipline prussienne ! Cest plutôt
lanomie , selon Parsons. (61) Cependant tout est fonction
du désir de guerre. Neumann dans Behemoth montre combien le populationniste
est hypocrite et pervers (62) . Une nation demande de lespace
vital pour ses fils mais elle les pousse à se multiplier pour provoquer
la guerre qui nait spontanément de la misère du peuple, de sa jalousie
envers les français, heureux " fils uniques "
... Nous ajouterons une précision utile : le Wandervogel na
jamais été pacifiste - contrairement à ce que lon veut faire
croire - Deux recueils de textes et darticles : le Wandervogelbuch
et le livre de Michaël Fritz " Voyage sans retour "
donnent des dizaines de pages racontant les jeux de guerre " Kriegspiel
" de nos fils de la cigogne dès 1900, bien avant la guerre
de 1914. (63) Ensuite, dès le début du conflit une cinquantaine
de pages sont consacrées aux récits de guerre et aux lettres de
soldats.
Avouons quen France
une excitation analogue existait et quelle paraît normale
dans ces circonstances. Mais les pacifistes français ny mêlaient
pas leur
voix, bien au contraire.
Ils prêchaient en Mai 39 le désarmement unilatéral . Donc on ne
peut pas prétendre que le Wandervogel était angélique. Il a préparé
lagressivité, fort longtemps avant Hitler.
On pourrait aussi poser la
question : Les nazis ont-ils usé de ruse en créant le Lebensborn
pour calmer " la misère sexuelle " des Jeunes
et ainsi les séduire ? Oui et non. Ils étaient eux-mêmes convaincus
de la valeur de lEros, dès leur adolescence, passée dans le
Wandervogel ou dans les Ligues. Peter Stachura en donne la liste
: " Il (le Wandervogel) imprime une marque indélébile
sur ses membres, parmi lesquels...... Rudolph Hoess le commandant
dAuschwitz, Heinrich Himmler, Adolf Eichmann, Baldur von Schirach.
" (64) Mathias von Hellfeld le rappelle aussi. (65) Hans-Jochen
Gamm insiste sur " le caractère érotique du national-socialisme
" (66)
Nous revenons à une de nos
questions initiales : Y a-t-il des valeurs qui se laissent pervertir
plus facilement que dautres ? Sans doute celles qui poussent
à négliger linstruction, la réflexion, la mesure, la raison,
la science. Thomas Mann écrivait en 1915 :
- " lart
nest ni moral ni facteur de progrès " et en 1919
: " la barbarie produit la beauté " (67)
Ensuite en 1924 dans le Zauberberg
il se rangera du côté de Weimar et de la Science. Mais... tout le
monde aura contribué à inculquer la folie au coeur du peuple allemand
avant den pâtir et de sétonner de ly trouver !
