Les Scouts de France à Lyon des origines à la Libération

Résumé du mémoire de maîtrise d'Histoire contemporaine d'Arnaud Meunier

 

Le 25 juillet 1920 naissait officiellement la première fédération française de scoutisme catholique. L'émergence d'une telle organisation reposait sur l'unification de plusieurs tentatives locales de catholicisation de la méthode scoute, et sur la volonté de répondre à une situation de crise pour l'époque : l'adhésion de jeunes catholiques à des mouvements scouts neutres confessionellement, ou protestants. L'arrivée des Scouts de France réorganisa donc la répartition des jeunes au sein des mouvements scouts français. En effet, les jeunes avaient enfin la possibilité de choisir leur troupe scoute en fonction de leurs croyances. Les S.D.F s'implantèrent rapidement dans les milieux industriels et dans les régions de l'est de la France. La région lyonnaise devint au bout de quelques années, une zone fertile en unités scoutes.


Nous avons remarqué l'influence de deux foyers dans l'apparition des S.D.F à Lyon. Dans un premier temps, les mouvements scouts ( les Eclaireurs de France, les Eclaireurs Unionistes, et les Eclaireurs Français ) installés dans la commune entre 1911 et 1919, diffusèrent la méthode scoute parmi la jeunesse lyonnaise. Les trois fédérations s'étalaient dans toute la commune, et regroupaient des jeunes de toutes les confessions. On sait par exemple que 30% des E.U étaient catholiques. De nombreux responsables S.D.F de l'époque témoignèrent de leur passage dans une de ces fédérations. Mais dès que la fédération des S.D.F fut créée, les jeunes catholiques se tournèrent vers celle-ci. D'autre part, nous avons établi la présence d'un foyer à Collonges au Mont d'or, où l'abbé Vautherin lança la première troupe S.D.F de la région. Celui-ci ne resta que trois ans dans la fédération. Il la quitta pour des divergences pédagogiques. De plus, les jésuites du collège de Mongré tentèrent une expérience de scoutisme avec la section des cadets. De nombreux jeunes de cet établissement découvrirent donc le scoutisme entre ces deux essais. Ils le ramenèrent sur Lyon, où le collège jésuite St-Jospeh fut le berceau de la première troupe S.D.F de Lyon. Les jeunes des classes aisées vinrent donc au scoutisme par l'intermédiaire des jésuites.


Les S.D.F s'installèrent à Lyon dès 1920-1921, aussi bien dans des collèges, que dans des paroisses. A côté de ces groupes, on trouvait parfois des groupes dits "ouverts" ou encore "interparoissiaux", qui réunissaient des jeunes de divers quartiers. La plupart des groupes naissaient avec la création de la troupe. Puis, dès le milieu des années vingt, les louveteaux et les routiers apparurent dans les groupes. Dans le cas de Lyon, l'année 1925 est désignée comme la date du véritable départ, puisqu'elle correspond à la création d'une province et de deux districts. En d'autres termes, la région lyonnaise connaissait sa première organisation S.D.F, ce qui l'autorisait à penser qu'elle était réellement installée. La mise en place des échelons intermédiaires entre le local et le Q.G national, exprimait une évolution quantitative des scouts dans la région. Ces échelons avaient pour fonction de subvenir aux besoins des chefs et de développer des liens entre chaque groupe scout. C'est pour ces raisons, que chacun des échelons se constitua une équipe d'animateurs et organisa des rassemblements sous le nom de "rallye".


Mais si l'implantation des S.D.F semble facile dans la théorie, la réalité est autre. En effet, les milieux ecclésiastiques émettaient de nombreuses critiques à l'égard du scoutisme, parce qu'ils voyaient en ce dernier un concurrent aux patronages. De plus, l'anglophobie ambiante entraînait des craintes vis à vis de la méthode scoute. Les familles percevaient d'un mauvais oeil cette nouvelle organisation qui donnait aux jeunes une large autonomie. A cette époque, beaucoup de jeunes avaient perdu leur père lors de la première guerre, ils étaient donc élevés par leur mère et dans un milieu très féminin. Les mères suivaient très souvent l'avis donné par le curé en ce qui concernait l'éducation de leur fils. Certains prêtres invitaient alors les mères à inscrire leurs enfants dans le scoutisme, d'autres non. Ces réticences diminuèrent avec le temps, mais ne disparurent pas pour autant.


Les années trente se caractérisèrent par une volonté de consolider les acquis de la première décennie d'existence. Les effectifs augmentaient continuellement, les groupes scouts se multipliaient, et de nouveaux quartiers étaient atteints par la fièvre scoute. Face à cette hausse quantitative, les responsables de districts et de province modifièrent les échelons intermédiaires, en accroissant le nombre des districts, en engageant plus d'animateurs, et en développant le rôle de chacun de ces échelons. Les districts de Lyon furent ainsi confiés à une équipe déléguée par la province, et formèrent du coup une sorte de sous-province, qui fut plus tard désignée par l'expression : "Le pays de Lyon".


Parallèlement à une consolidation des groupes déjà existants et à une expansion de nouveaux groupes dans de nouveaux quartiers, généralement parrainés par d'anciens groupes, on vit apparaître de nouvelles formes de scoutisme, spécialisées dans des domaines précis. C'est ainsi que des responsables se lancèrent dans le scoutisme marin, aérien, ou encore le scoutisme d'extension. Ce dernier, très développé, s'adressait aux jeunes malades, incapables de suivre les activités d'une troupe normale. On remarque que ces nouveaux services proposés par les S.D.F exprimaient une volonté de préserver leurs adhérents, au sein de leur grande famille. En effet, par l'intermédiaire du scoutisme d'extension, on peut assurer à un jeune malade de continuer le scoutisme et de garder contact avec son ancienne patrouille. Cette volonté de préservation se retrouve aussi dans le cadre de la route militaire et lors de la guerre.


Si le nombre des scouts augmentait, cela signifiait que celui des chefs en faisait autant. Nous nous sommes donc interrogés sur la nature de ces derniers. Une enquête sur les chefs de 1936, nous apporta plusieurs informations. C'est ainsi que l'on apprit que les cheftaines ( louveteaux ) étaient dans la majorité des cas des jeunes filles de milieux aisés, sans profession, qui consacraient plusieurs années au scoutisme. Les garçons étaient plus souvent dans les troupes et les clans. L'âge moyen des chefs éclaireurs était inférieur à celui des chefs routiers, étant donné la différence d'âge entre les deux branches. Mais les chefs éclaireurs étaient très souvent bloqués par le service militaire, et ne restaient donc que très peu de temps dans une unité. L'autre spécificité des chefs de cette époque réside dans le fait que les chefs d'unité exerçaient souvent, en parallèle, la fonction de chef de groupe. Enfin, nous avons appris que la grande majorité des chefs étaient sous-formés, voire non formés. Il semble que plusieurs d'entre eux se considéraient comme supérieurs, et prétendaient ne point avoir besoin de formation.


Une année scoute se composait, à cette époque, de quelques grands événements : comme le pèlerinage à Fourvière, le rallye du week-end de Pentecôte, la fête St-Georges,... Toutes ces manifestations souhaitaient rappeler aux scouts qu'ils appartenaient à une grande famille. La fraternité scoute passe en effet par cette reconnaissance au sein d'une communauté très large, qui se réunit régulièrement pour de grandes fêtes. Les scouts lyonnais ne se distinguaient pas des autres, et s'inséraient complètement dans cette philosophie, car lors des jamborees, des rover-moots, des pèlerinages, et des journées nationales de chefs, ils envoyaient toujours d'importantes délégations.

Les responsables scouts de l'époque avaient vite compris que pour pouvoir être acceptés, il fallait émettre une image positive auprès de la population et des diverses autorités. Un grand travail sur l'image se réalisa donc, avec un comité constitué spécialement pour cette mission : le comité de propagande. Cette communication passait par des manifestations dans la ville, des chroniques scoutes dans les journaux locaux, des films, ... Toute manifestation était pensée dans une perspective pédagogique, mais également dans un souci propagandiste. Il fallait se faire adopter par la population, pour devenir une référence. N'oublions pas que le but des scouts était de former une élite, c'est à dire de nouveaux cadres pour le pays. Malgré ce travail, des gens restèrent sceptiques quant à la bonne foi, et à l'utilité des scouts. Par contre, la mairie de Lyon ne les considéra point comme des ennemis ou comme des amis. En réalité, elle s'en préoccupait sans plus, ce qui arrangeait bien les Scouts de France. Ces derniers trouvaient leur plus gros soutien auprès de l'Eglise. Reconnus par le pape à plusieurs reprises dans les années vingt, les évêques lyonnais ne s'opposèrent pas à leur implantation. Les S.D.F prirent ainsi une place importante dans la vie de l'Action catholique.


Enfin, il y a un aspect important à signaler lorsque l'on parle de cette époque : l'intérêt artistique des scouts. En effet, ces derniers, par l'intermédiaire des équipes spécialisées de routiers, et grâce à quelques noms référants, ont pu développer des arts comme le chant et le théâtre, entre autres. Si les jeunes faisaient cela dans une perspective artistique, les manifestations publiques répondaient quant à elles, plus à une volonté de propagande.


Lorsque la guerre se déclara, les responsables scouts considérèrent leur méthode pédagogique comme la mieux adaptée pour répondre aux carences de chefs que connaissait la France. Pour eux, la situation s'expliquait par le fait que les responsables politiques des années trente n'avaient pas la carrure de chefs, à l'instar des scouts. Ils souhaitaient donc participer au redressement de la France. Pétain développait en parallèle un discours quasiment analogue, où il considérait la jeunesse comme la dernière solution. Les responsables scouts ressentirent donc le besoin de se rapprocher du pouvoir politique. Les S.D.F continuaient donc de vivre dans la zone sud.


Dans cet élan, les groupes scouts cherchaient à recruter le plus de jeunes possible, afin d'être reconnus comme un mouvement national. Parmi les réfugiés, et des jeunes dont les parents venaient de découvrir le scoutisme, le nombre des scouts augmenta rapidement. Les effectifs doublèrent en quelques mois. Mais cette hausse incontrôlée des effectifs engendra une perte qualitative dans la vie des unités. Celles-ci étaient généralement confiées à des chefs inexpérimentés et non formés, à cause de la mobilisation. Des mesures furent donc prises pour renvoyer tous les jeunes qui ne rentraient pas dans le moule. L'intérêt pédagogique reprit ainsi le dessus sur les vues expansionnistes.


Bien entendu, dès que l'on aborde la question de la guerre, on se demande de quel côté se situaient les scouts. Si tout le monde s'accorde à dire que les dirigeants du mouvement soutenaient le maréchal, parce qu'ils croyaient que ce dernier allait sauver la France, on ne peut pas dire que ceux-ci étaient collaborationnistes, car le scout était formé dans la pensée patriotique. Ils se considéraient comme les fils de la France. Ils suivaient donc ceux qui, selon eux sauveraient l'honneur de la France. Dans cette perspective, certains s'engagèrent dans la milice. D'autre, pensèrent que l'honneur de la France serait sauvé par la résistance. Les départs vers les réseaux de résistance se firent surtout après l'annonce du S.T.O. Nous savons que plusieurs responsables utilisèrent le scoutisme comme couverture pour des actions de résistance. Toutefois, le nombre des scouts dans la résistance est impossible à chiffrer, mais il ne semble pas être aussi important que l'on veuille nous le faire croire. La grande majorité des chefs continuèrent leur vie.


Pendant la guerre, la zone nord est occupée par l'armée allemande qui interdit toutes les activités scoutes. Le Q.G national des S.D.F se replia donc dans la zone sud, et plus précisément à Lyon, pour des commodités matérielles. Leur présence sur Lyon était considérée par tous comme une étape transitoire avant de remonter sur Paris. Une fois que la zone sud fut également occupée, les activités scoutes ne cessèrent pas, car l'occupant n'exigea point son interdiction. Les chefs, par prudence, décidèrent de limiter les grandes manifestations, afin de ne pas attirer l'attention de l'occupant. Les activités furent en revanche stopper à partir du printemps 1944, à cause de l'intensification des combats autour de Lyon.


Une fois Lyon libérée, les responsables scouts comprirent qu'il fallait rapidement effacer l'image d'un mouvement proche de Pétain. C'est pourquoi, les équipes d'animation des échelons intermédiaires et du Q.G national furent modifiées. D'anciens scouts, prisonniers pendant la guerre furent ainsi nommés. De plus, les trois fédérations se réunirent en octobre 1944, pour fêter leurs morts, non pas à la guerre, mais dans la résistance. On souhaitait donc développer l'idée que les "vrais" scouts étaient résistants pendant la guerre. On récupéra donc le destin de plusieurs jeunes, qui furent pendant la guerre accusés de désobéissance par les responsables S.D.F.